Crise em duplicado
Les Etats-Unis ne sont pas non plus épargnés par ce nouveau contexte international. Certes, la puissance américaine globale reste forte et inégalée: le PNB par habitant atteignait 46 800 dollars en 2008 et la part des Etats-Unis dans le commerce mondial représente 14% pour les biens et 18% pour les services. Le pays connaît également une croissance démographique (plus 10% d’ici 2025) beaucoup plus dynamique que celle des Européens. L’élection récente de Barak Obama a enfin permis de renouer avec l’attractivité du modèle et du rêve américains, en enrayant la dégradation spectaculaire de l’image des Etats-Unis dans le monde causée par l’administration Bush.
Mais les Etats-Unis abordent cette décennie 2010 doublement affaiblis. Par la mondialisation d’une part : la puissance américaine, comme l’ensemble de la puissance occidentale, devient en effet plus relative face à la montée en puissance d’autres acteurs internationaux. La Chine est désormais un compétiteur potentiel majeur. Mais aussi parce que les Etats-Unis doivent réparer, d’autre part, une décennie d’errements de la politique américaine elle-même. Les deux piliers de leur puissance, la suprématie militaire d’un côté et la réussite économique de l’autre se retrouvent en effet dans un état de grande fragilité. Sur le plan stratégique, même en dépensant la moitié des dépenses militaires mondiales, les Etats-Unis ne parviennent ni à éradiquer le terrorisme, ni à sortir victorieusement des conflits dans lesquels ils sont engagés, ni à renverser la dynamique conflictuelle à l’oeuvre au Moyen-Orient. Dans cette région cruciale pour l’avenir de la sécurité internationale, l’Amérique ne dispose pratiquement d’aucune marge de manoeuvre, tant sont lourds et puissants les héritages des précédentes décennies de politique américaine. Une puissance comme la Chine se retrouve paradoxalement plus libre que les Etats-Unis à l’égard de la scène moyen-orientale! Sur le plan économique, la crise des subprimes, née des propres dérives du système financier et du modèle de croissance américain, a produit la plus grave récession depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Cette double évolution devrait amener les Etats-Unis à repenser en profondeur les fondements de l’efficacité, de la légitimité et de la crédibilité de leur puissance. D’ores et déjà, la tentation unilatéraliste a fait long feu. Les Etats-Unis de Barak Obama reconnaissent la nécessité de coopérations internationales qu’il s’agisse de rétablir la croissance économique mondiale ou de stabiliser les défis stratégiques de la décennie. En terme de légitimité, la perception, diffuse de par le monde, d’une responsabilité de l’Amérique dans la crispation stratégique mondiale (Russie, Iran, Moyen-Orient), dans la crise économique et financière ou dans l’aggravation du réchauffement climatique, est un handicap que la nouvelle administration américaine a décidé d’affronter. Nul doute que les Etats-Unis défendront d’abord les intérêts américains. Mais la nécessité d’engranger aussi des résultats qui pourront être perçus comme positifs pour le reste du monde reste une contrainte lourde pour la culture américaine du leadership international. Le président des Etats-Unis sait mieux que quiconque qu’il existe, pour la crédibilité de la puissance américaine, une obligation de résultats. A ce titre, l’affaiblissement de l’Union européenne sur la scène internationale, sa réduction au statut de grande Suisse du monde, serait un handicap de plus pour la puissance américaine : les Etats-Unis se retrouveraient en effet seuls face à la vague de puissance asiatique, et notamment chinoise. C’est dans cette optique que l’idée d’un partenariat utile avec l’Union européenne peut de nouveau faire partie des atouts maîtres de l’Amérique.